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france culture « Toute une vie » : « Albertine Sarrazin, (1937–1967), une écrivaine en fugue »

Logo france culture Toute une vie „L’œil frangé d’herbe noire“ et des „nuages sous les pieds“, Alber­tine Sar­razin a vécu sa vie comme un roman. De son exis­tence ful­gu­rante, elle nous laisse en partage trois best-sell­ers, des dizaines de poèmes, des cen­taines de let­tres et mille cav­ales.

À sa nais­sance, en 1937, Alber­tine est déposée à l’assistance publique puis adop­tée par un médecin mil­i­taire en poste à Alger. Bril­lante élève, éduquée dans un milieu bour­geois, elle a du mal à se con­former à la dis­ci­pline du foy­er et de l’école. Suite à de nom­breuses fugues, elle est envoyée au Bon Pas­teur de Mar­seille, une mai­son péni­ten­ti­aire pour jeunes filles. C’est le début d’une longue série d’in­car­céra­tions et d’é­va­sions.

11 juil­let 1953 : Le jour du bac, Alber­tine s’échappe pour mon­ter à Paris en stop. Elle a 15 ans et vit clan­des­tine­ment entre tra­vail du sexe et vols à l’é­ta­lage. Petite et menue, les cheveux remon­tés en chignon, “l’œil frangé d’herbe noire”, Alber­tine s’enivre de Paris. Elle est bien­tôt rejointe par son amoureuse Émi­li­enne, elle aus­si évadée du Bon Pas­teur. Ensem­ble, elles mènent la grande vie.
Un jour, elles ten­tent un braquage qui tourne mal et sont arrêtées. Les cahiers d’Albertine, dans lesquels elle a détail­lé sa vie et leurs dif­férents exploits, sont retrou­vés par la police. Ils seront retenus à charge con­tre elle lors de son procès aux Assis­es où Alber­tine écope de sept ans d’em­pris­on­nement. Elle est envoyée à la prison-école de Doul­lens dans la Somme, une haute forter­esse dont elle s’échappe le 19 avril 1957.

Je suis vrai­ment har­nachée pour arriv­er en tôle ce soir : opos­sum et pan­talon. Moi qui pen­sais pou­voir franchir en lib­erté le sol­stice d’été, me voila à l’abri des coups de soleil, coups de lune, et en butte aux coups de gueule, coups de bour­don, pour un temps ter­ri­ble­ment déter­miné. Quelques années, quoi.” Der­rière les bar­reaux pen­dant de longues années, Alber­tine a su apprivois­er l’en­fer­me­ment en exp­ri­mant son quo­ti­di­en, son ennui et ses espoirs dans ses livres, mais sa pen­sée demeure résol­u­ment anti-car­cérale. La prison est pour elle un non-sens qui l’oblige au recro­queville­ment : „une exis­tence pareille ne devrait pas avoir le droit d’existence. Car, la joie bar­ri­cadée, l’intellect bien empa­que­té, les fringues dans la napht, que reste‑t ‑il ? (Alber­tine Sar­razin)

En s’évadant, elle se brise un os du pied, l’as­tra­gale, qui don­nera son titre à son plus célèbre roman quelques années plus tard. Cette même nuit, elle fait la ren­con­tre d’un pris­on­nier en cav­ale, Julien Sar­razin, avec qui elle restera jusqu’à la fin de sa vie. S’en­suiv­ront plusieurs années d’in­car­céra­tion, de cours­es pour­suites et d’arrestations pen­dant lesquelles elle ne cesse d’écrire, des romans, des poèmes, des let­tres, des biftons…
Alber­tine est une „mau­vaise fille“ et ne s’en cache pas. Dans son jour­nal et dans ses livres, elle écrit tout : ses fugues, ses vols, ses amours, la prison et les éva­sions. Son écri­t­ure bal­ance entre envolées lyriques et expres­sions taulardes, un mélange sub­til de cal­ligra­phie et de gri­bouil­lis, d’argot et de Marie-Chan­tal, d’ordure et de poème qu’elle cul­tive avec grâce.

Le 9 août 1964, Alber­tine est défini­tive­ment libérée et s’in­stalle avec Julien dans une mai­son à Mont­pel­li­er. Ses man­u­scrits, qui ont voy­agé dans de bonnes mains, se retrou­vent dans celles de Jean-Pierre Castel­nau, le directeur lit­téraire des édi­tions Jean-Jacques Pau­vert, qui veut pub­li­er ses trou­vailles. En octo­bre 1965 parais­sent suc­ces­sive­ment deux livres d’Al­ber­tine : La Cav­ale et L’As­tra­gale.
Immense suc­cès. Tout le monde veut inter­view­er cette jeune écrivaine qui, pour la pre­mière fois, dit la prison de l’intérieur, racon­te ses amours les­bi­ens, évoque son recours au vol et au tra­vail du sexe, sans regrets et sans honte. Très vite, elle pub­lie son troisième roman, La tra­ver­sière, dans lequel elle revient sur son enfance, ses par­ents, et sur ses con­di­tions et proces­sus d’écri­t­ure.
En peu de temps, les tirages aug­mentent et des pro­jets de films sont lancés, mais l’état physique d’Al­ber­tine se détéri­ore et elle doit rapi­de­ment être opérée. Le 10 juil­let 1967, à l’aube de ses trente ans, Alber­tine s’éteint sur une table d’opéra­tion, elle était au faîte de sa gloire et enfin libre.
Les deux médecins qui ont pra­tiqué l’opéra­tion dont Alber­tine suc­combe seront con­damnés au terme d’un long procès mené par Julien.

J’ai passé le quart de ma vie en prison, je suis passée au tri­bunal pour enfants, en cor­rec­tion­nelle, en Assis­es, j’ai bagar­ré, j’ai soupiré, j’ai rigolé ; aus­si, je sais du pro­fond de ma cer­ti­tude que sous le bois­seau enchevêtré des rocailles et des fer­railles, des nuits blanch­es et des heures gris­es, il est tou­jours un jour, un retour… (Alber­tine Sar­razin)

Alber­tine Sar­razin désig­nait ses livres comme ses „mômes“ et par­lait de l’écri­t­ure comme un moyen de repouss­er un peu le néant. Elle, qui écrivait depuis l’en­fance et qui ne con­nais­sait pas ses par­ents, a fait de l’écri­t­ure une nou­velle nais­sance. Ain­si, les aven­tures de la „petite femme à la pat­te cassée“, con­tin­u­ent de nour­rir les envies d’é­va­sions de celles et ceux qui les lisent.

Avec

  • Lisette Lom­bé Slameuse, artiste pluri-dis­ci­plinaire
  • Jean-Pierre Gaubert Jour­nal­iste
  • Juli­ette Stel­la Doc­tor­ante en lit­téra­ture (2023)
  • Véronique Blan­chard His­to­ri­enne, enseignante-chercheuse à l’Université d’Angers
  • Mar­got Lep­age Respon­s­able action cul­turelle et développe­ment des publics à „Somme Pat­ri­moine“
  • Gilles Pri­laux Archéo­logue et chef de pro­jet à „Somme Pat­ri­moine“, ingénieur de recherche à l’INRAP,

Sie kön­nen die Sendung, die am 16.9.2023 veröf­fentlicht wurde, über die Seite des Pod­casts nach­hören oder als Audio­datei herun­ter­laden.

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